Terres rares : quand la France se doit d'être stratège

Dernière modification le 16/06/2016 - 14:59
Terres rares : quand la France se doit d'être stratège
Crédit Photo: Rhodia - "Terres rares"

Quels sont les usages des terres rares et des métaux stratégiques et critiques ? Quel est le contexte géopolitique, économique ? Comment la France peut-elle se positionner ? L'OPECST apporte de nombreux éléments de réponses à ces questions et fait quatorze propositions en la matière.

L’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a été saisi en février 2014 d’une demande d’étude sur les enjeux stratégiques des terres rares, afin de contribuer à conforter la compétitivité de l’économie française.
 
Les parlementaires Delphine Bataille et Patrick Hetzel, en charge de l'étude au nom de l'OPECST, ont cherché à répondre à trois vastes questions : que sont les terres rares et les métaux stratégiques et critiques ? Quels problèmes faut-il résoudre? Comment peut-on les résoudre ?
Ils viennent de rendre leur rapport.

Précision : la thématique des terres rares et les solutions pour éviter des situations de pénurie étant très proches de celles susceptibles de s’appliquer aux matières premières stratégiques et critiques, l'étude a été étendue aux matières premières stratégiques et critiques.

Des caractéristiques spécifiques et des usages en plein essor

 
Les terres rares sont dix-sept éléments dans la classification périodique, dont les plus utilisés sont le cérium, le lanthane ou encore le néodyme. Elles peuvent être classées en terres rares légères et en terres rares lourdes, ces dernières ayant les propriétés les plus intéressantes.
Précision : les dix-sept éléments appelés terres rares sont le scandium, l’yttrium, le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium, le samarium, l’europium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, l’holmium, l’erbium, le thulium, l’ytterbium et le lutétium.
Les terres rares possèdent des électrons f qui leur confèrent des propriétés optiques et magnétiques particulières. De manière générale, elles sont utilisées dans la fabrication des aimants permanents (qu'on retrouvera dans les éoliennes ou les voitures), des pots catalytiques, des batteries des téléphones portables, des luminophores dans les ampoules basse consommation. Elles ont aussi de nombreuses applications dans le domaine de la santé (médicaments, marqueurs, agents de contraste en IRM, etc).
 
Souvent contenues dans des minerais, elles nécessitent alors d'être séparées et purifiées, sauf pour certaines applications. Leur séparation éventuelle pourra s'effectuer via des procédés tels que l'hydrométallurgie la pyrométallurgie ou encore des procédés de chimie fine, extractive, séparative, lesquels nécessitent un grand savoir-faire. Les auteurs rappellent à ce sujet qu'un laboratoire d’hydrométallurgie de très haut niveau est en cours de développement en France.
 

Côté environnement, les pollutions associées aux terres rares sont notamment liées à la radioactivité des minerais et au fait que leur traitement nécessite de grandes quantités d’eau.

Domination chinoise

Si les gisements de terres légères sont très nombreux, parfois très importants et répartis dans un grand nombre de pays, les gisements de terres lourdes sont rares et de petite taille.
 
Alors que les terres rares correspondent à des besoins croissants dans de nombreux secteurs, le rapport constate l'incontestable leadership de la Chine en matière de production. En effet, possédant 50 % des réserves mondiales, la Chine produit actuellement 90% des terres rares. Au nord, ce sont les terres rares légères (lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, samarium) qui sont extraites, alors qu'au sud, ce sont davantage les terres rares lourdes (yttrium, europium, gadolinium notamment), le tout dans des conditions sanitaires et environnementales qualifiées de "discutables" (sont mentionnés des montagnes s'écroulant du fait des solvants, des champs arrosés à l'acide).
 
La Chine, qui relie le problème environnemental à l'existence de mines illégales, souhaite restructurer son industrie des terres rares, se conformer aux prescriptions de l'OMC et créer une véritable filière en la matière (extraction, mais aussi séparation, purification, etc).
 
Résiduelle, l'offre non chinoise ne provient que de quelques pays, tels que les États-Unis, certains États de l’Union européenne, l’Australie et la Malaisie.
 
Contrairement à l’Europe, le Japon, qui n’a pas de matières premières, investit dans des mines étrangères, en y prenant des participations ou en les achetant, une pratique par ailleurs partagée par la Chine et la Corée.
 

Globalement, selon qu’on considère la situation en Chine, hors de Chine ou au niveau mondial, la tendance est la même : seuls quelques projets se réaliseront car la rentabilité dans ce domaine est incertaine.

Une forte dépendance aux évolutions technologiques

Le rapport souligne que l'utilisation des terres rares dépend des technologies existantes, et de leur évolution.
 

Par exemple, certains industriels pourront faire le choix d'une technologie sans terres rares, pour se prémunir contre les risques de pénurie ou pour des soucis d'acceptabilité économique, sociétale et environnementale des produits.

Un marché tendu

L'évolution des marchés de terres rares et de matières premières stratégiques et critiques apparaît préoccupante, selon les auteurs du rapport, lesquels relèvent les facteurs suivants :

  • le développement des technologies utilisatrices,
  • la demande des pays émergents, en croissance et difficilement contrôlable,
  • une offre limitée géographiquement,
  • les évolutions technologiques, sources d'incertitude.

Les clefs d'une politique volontariste

 
Plusieurs matières premières, dont les terres rares, présentent un intérêt stratégique pour les États et peuvent être critiques pour l'industrie. Les terres rares, qui relèvent de l’initiative "matières premières" de l’Union européenne, apparaissent dans sa liste des matières premières critiques. La France, pour sa part, n’a pas de liste propre et se réfère donc à la liste élaborée par l’Union. Le rapport rappelle toutefois les travaux du BRGM en la matière (cf. les analyses disponibles sur www.mineralinfo.fr).
 
Selon les auteurs du rapport, une politique volontariste repose sur trois grands types de solutions : celles qui dépendent des entreprises, celles qui dépendent du système de formation et de recherche et celles qui dépendent de l’État.
 
Aussi le rapport explore-t-il les pistes des solutions industrielles que sont le recyclage et la substitution ("balbutiante") ou encore celles concernant la formation (à "redynamiser") et la recherche (à davantage soutenir et encourager).
 
Les auteurs enchaînent sur la possibilité de définir une stratégie minière et métallurgique reposant sur une relance de la prospection et de l’activité minière, mais aussi sur la définition d’un projet minier crédible et acceptable.
Précision : selon le rapport, mis à part l’or de Guyane, le nickel de la Nouvelle-Calédonie et le cobalt qui y est contenu, il n’y a plus de production métallique en France depuis vingt ans.
Les auteurs reviennent sur le potentiel minier de la France, finalement assez méconnu, sur l'intérêt de disposer d'un inventaire minier actualisé, sur la réglementation applicable ou encore sur l'acceptabilité des projets. En outre, selon les parlementaires, un projet minier ambitieux ne pourra se développer en France qu’à partir du concept de mine responsable. Ils reviennent ainsi sur les exemples de la Suède et de la Finlande, et en appellent à une modernisation rapide (!) du code minier.
 

Last but not least, le rapport revient aussi sur la question de la constitution de stocks stratégiques, objet de réflexion en France, puis sur le rôle de la diplomatie économique française. Sur ce dernier point, le rapport précise que des outils peuvent être mis en œuvre par le ministère des affaires étrangères, par Business France et par la direction du Trésor du ministère des finances. Le rapport s'achève sur une analyse de la politique des matières premières de l'Union.

Les 14 propositions découlant du rapport

Résultent de cette étude les propositions suivantes :
  • Définir une politique minière pour la France reposant sur l’identification des besoins et des ressources, la relance de la prospection, la réalisation d’un nouvel inventaire minier et une réflexion sur la mine moderne et responsable
  • Définir une stratégie des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques, comme l’ont fait la Suède, la Finlande et le Japon
  • Développer la filière minière française, qui est essentielle pour son impact industriel et économique, et sa contribution à l’emploi, à la croissance et à l’innovation
  • Sécuriser l’approvisionnement des matières premières stratégiques et critiques par une coopération internationale active
  • Envisager le stockage des matières premières stratégiques et critiques les plus sensibles
  • Développer le recyclage et la recherche de produits de substitution aux matières premières stratégiques et critiques
  • Aboutir au niveau européen à une harmonisation des législations sur les transports de déchets, afin de faciliter leur recyclage
  • Financer davantage les travaux de recherche sur les terres rares et les matières premières stratégiques et critiques, afin qu’ils aient des retombées significatives. Déterminer clairement les financements envisagés dans la programmation de l’ANR et du PIA. Améliorer leur complémentarité avec les financements européens
  • Relancer la formation aux activités minières, notamment au sein de l’enseignement supérieur français, à ses différents niveaux, afin de permettre le maintien et le développement d’un savoir-faire particulièrement précieux
  • Développer la veille économique, réglementaire et médiatique sur les matières premières stratégiques et critiques
  • Charger le BRGM de mieux identifier les besoins en matières premières stratégiques et critiques et de définir les modalités techniques et financières d’un stockage. Lui confier une mission d’observation des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques, pour améliorer la connaissance de la réalité française, européenne et mondiale, et faire de la veille technologique
  • Créer au niveau européen une banque d’investissement public qui aiderait les entreprises européennes à investir à l’étranger pour obtenir des produits à des prix stables, et à sécuriser leur approvisionnement à long terme en matières premières critiques telles qu’elles sont définies dans la liste européenne
  • Développer la coopération internationale pour mesurer et maîtriser l’impact environnemental de la prospection et de l’exploitation des mines et des ressources marines profondes
  • Renforcer les moyens de l’Ifremer afin qu’il puisse s’engager pleinement dans une coopération avec le Japon dans la recherche et l’exploitation des ressources marines profondes, notamment dans la zone Asie-Pacifique où la présence de la France est très importante.

Auteur: Camille Vinit-Guelpa, Code permanent Environnement et nuisances
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Auteur de la page

Valérie HOUMEAU

Chargée de mission

Modérateur

Damien Deletraz

Référent Eco-Conception